La ligne artistique

« J’ai monté la compagnie OC&CO en 1997 pour accompagner mes projets de mise en scène. Elle porte un nom étrange qu’on ne sait pas comment prononcer, mais j’avais trouvé que c’était joli graphiquement et que mes initiales en miroir donnaient du sens à l’initiative. A moins que ce ne fût simplement l’expression d’un certain narcissisme… De même, il m’avait semblé que commencer par Solness le constructeur, d’Ibsen, c’était annonciateur d’une histoire de théâtre à bâtir. Cela aurait pu aussi bien présager du contraire car les spectateurs se souviendront que le dit-constructeur tombe d’un échafaudage à la fin de la pièce et meurt de sa chute ! J’ai donc échappé au pire, au moins pour le moment…

Après cette première création en 1999, je me suis tourné vers un auteur vivant dont j’avais découvert l’écriture au Théâtre National de Belgique : Paul Emond. Je garde le souvenir d’un aller-retour à Bruxelles pour aller faire sa connaissance et lui demander les droits d’Inaccessibles amours, la pièce que j’envisageais de monter. J’avais été très impressionné par la rencontre et, après une longue discussion dans son bureau rempli de livres, j’étais reparti avec son accord, le cœur léger.

La création de ces deux spectacles a donné le ton d’une alternance entre répertoire et écriture contemporaine à laquelle je me suis presque régulièrement tenu depuis lors. Elle a le mérite d’opérer un voyage entre le passé et le présent et de faire sonner à mes oreilles un proverbe arabe qui ne me quitte jamais : si tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi d’où tu viens ! Elle offre aussi l’enrichissante possibilité de se pencher sur l’écriture du théâtre en étudiant comment chaque auteur appréhende son époque et nous donne l’opportunité de nous questionner sur nous-mêmes. Elle nous permet aussi de comprendre que ce qui procure à l’écriture la force de survivre au temps c’est la finesse de la peinture des relations interpersonnelles et le déploiement sensible des émotions.

Les émotions !

C’est pour en recevoir et en donner que j’ai choisi la voie du théâtre, parce que je suis convaincu de deux choses à leur égard : ce sont les émotions qui nous donnent le sentiment d’être vivants et ce sont elles qui ont le pouvoir de nous rassembler au-delà de nos différences. Bien sûr le théâtre peut nous interpeler, nous bousculer, élargir les champs de notre culture, mais il a l’impérieux devoir de nous émouvoir car il nous réunit autour d’une question aussi fondamentale qu’essentielle : comment être vivants ensemble ?

D’Henrik Ibsen à Paul Emond, de Sénèque à Fabrice Melquiot, de Jean Racine à Pierre Kretz, de Jon Fosse à Anton Tchekhov, j’ai tenté une percée émotionnelle autour de textes forts qui ont pour point commun l’amour. A y bien réfléchir, ce n’est peut-être pas un hasard : n’est-ce pas l’amour qui, avec la nature, nous procure les plus belles émotions ? »

Olivier Chapelet, 20 décembre 2018